dimanche 26 mai 2013

LA VIE D'ADÈLE

2h57 - Sortie le 9 octobre 2013

Un film de Abdellatif Kechiche avec Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux, Aurélien Recoing
A 15 ans, Adèle ne se pose pas de question : une fille, ça sort avec des garçons. Sa vie bascule le jour où elle rencontre Emma, une jeune femme aux cheveux bleus, qui lui fait découvrir le désir et lui permettra de s'affirmer en tant que femme et adulte. Face au regard des autres Adèle grandit, se cherche, se perd, se trouve...

La Moyenne des Ours : 2/5

Le point de vue de Pépite : 3,5/5
J'arrive après le tumulte, après les polémiques, et les 1001 critiques (quasi toutes positives, à l'exception de quelques unes, dont celle de mon camarade Le Comte, ci-dessous)... Mais en même temps, La Vie d'Adèle n'est pas un film facile à appréhender tant il est riche. Riche, mais aussi complexe et non exempt de défauts. Tant de choses ont été dites, je ne serais là que pour résumer simplement mon ressenti lors des deux projections auxquelles j'ai assisté (la première à Cannes, la seconde quelques jours après sa sortie nationale).
La principale qualité de La Vie d'Adèle est la construction ultra-efficace de chacune de ses scènes. En effet, au sein de chaque scène tout le long du film, le rythme du montage, des dialogues, le jeu des comédiens, etc., tout est calibré avec brio et efficacité. Au sein de chaque scène on vit avec ces personnages plus vrais que nature, touchants mais aussi parfois drôles. À part certaines scènes où le jeu des comédiens se fait un peu plus caricatural (je pense à l'une des amies d'Adèle, inquiète que celle-ci ait dormi avec elle "à poil dans son lit", ou même à Léa Seydoux lorsqu'elle décide de rompre avec Adèle), c'est bien la direction d'acteur qui apporte beaucoup à cette efficacité locale.
Locale, car oui, le problème principal de La Vie d'Adèle est sa longueur. Ce n'est pas une question de "Oh ça dure 3h j'ai la flemme...", au contraire. De nombreux films parviennent à dépasser les 2h30 sans qu'on ressente vraiment des longueurs (le récent Prisoners en est un bon exemple). Kechiche veut montrer trop de choses, ce qui alourdit la narration. Du coup, il en profite pour faire une scène de coït de 7min, qui s'éloigne de l'efficacité de la plupart des scènes du film pour se rapprocher de ce reproche que je fais au film dans sa globalité : trop long. Pourtant, j'ai cru comprendre que le film n'était déjà pas complètement fidèle à la bande dessinée... Il aurait donc pu faire beaucoup plus de choix dans ce qu'il voulait raconter, et La Vie d'Adèle y aurait gagné.
Mais non, l'époque est au tout-numérique et au non-choix, aux prises de 1h avec lesquelles le monteur doit se débattre pour extraire l'essence... C'est la vie ?

Le Mot du Comte : 0,5/5
Il y a 10 ans de cela, Abdellatif Kechiche inventait le Nouvel Académisme du cinéma français : permanence du filmage en caméra épaule, naturalisme brut et obsession du Réel, aussi bien par les décors que par le verbe. Depuis, cet académisme a proliféré un peu partout, jusqu’à devenir la norme facile d’un certain cinéma français.
"La Vie d’Adèle" ne déroge pas à ce commandement. Ainsi, pendant trois heures, Kechiche ne se renouvelle absolument pas et, confortablement installé dans les sentiers qu'il a lui-même tracé, il déçoit. Son filmage se résume à des champs/contrechamps en gros plan (il existe pourtant beaucoup d’autres focales) avec une caméra en permanence plantée devant les visages de ses actrices, qui débitent de longues conversations pleine de vacuité, des mots de "tous les jours". Naturalisme brut, disais-je.
Voici donc un film plat, enfermé dans un académisme étouffant et dont l’histoire est un petit mélodrame inoffensif dont on devine très facilement les contours et la finalité (oui il y aura des larmes, oui il y aura de la morve), et dont le seul exotisme repose dans une histoire d'amour lesbienne filmée par un homme, qui a sûrement cru bon de nous balancer ses fantasmes à l'écran. Une large partie de ce mélo est ankylosée par des analogies lourdingues, comme ces scènes de classe où le cours de français sur Marivaux évolue en même temps que l’état d’âme d’Adèle (on a déjà vu ce film, il s’appelle "L’esquive"), ces sous-entendus appuyés sur les huîtres et la manière de les manger (le spectateur a visiblement besoin d'un dessin), ou encore cette scène outrageusement ringarde dans laquelle Emma apparaît à Adèle en fantasme après une première entrevue dans la rue complètement ratée, car filmiquement bâclée. Subtilité et délicatesse.
Ainsi conscient d’être piégé par sa méthode et la platitude de son intrigue, Kechiche tombe alors dans la plus immonde des putasseries, un racolage d’une répugnance sidérante. Le voilà résumé à filmer les ébats non simulés (où en tout cas, à l'extrême limite de la simulation) de ses deux comédiennes, de manière crue et frontale (curieusement, c'est ici qu'apparaissent les rares plans larges du film). Que sont alors ces scènes, si ce n’est de la pornographie bien éclairée ? Quel est ce cinéma français obligé de tomber dans la pornographie pour trouver sa radicalité ? Car si l’acte n’est pas simulé, les actrices simulent leurs sentiments pour un public qui en demande toujours plus. Ce n'est là qu'une forme analogue de la prostitution.
La seule émotion qui se dégage alors de ses scènes étirées où l’on montre tout (tuant dans l’œuf tout érotisme et toute imagination), c’est une gêne profonde pour ses actrices contraintes de se prostituer pour un auteur désormais pornographe légitimé par la nomenklatura d’un cinéma français voyeuriste.
Si le corps de Léa Seydoux est tombé depuis bien longtemps dans le domaine public (de "La Belle Personne" jusqu'à "Grand Central"), il est profondément triste de voir ce qu’Adèle Exarchopoulos est obligée de faire pour être reconnue dans un milieu très français où il faut désormais montrer son vagin pour percer (ce n'est alors plus du jeu mais de la performance). Et ce syndrome se répand telle une cellule cancéreuse dans le cinéma français d'aujourd'hui ("Louise Wimmer", "Michael Kohlhaas", "Camille Claudel 1915", "Crawl" et tant d’autres) désormais incapable de se passer de la monstration gratuite d’une bite.
On saluera le talent d’Adèle Exarchopoulos pour cette mauvaise raison, sa capacité à se mettre à poil, et non pour son jeu pur, pourtant révélé dans ses scènes de dispute à hautes doses de larmes et de morve.
Kechiche valide ainsi (sans le vouloir, on lui accordera ce doute), les pires thèses de la télé réalité et de l’image jetable, la monstration absolue sans tabou à un spectateur mateur et l'assassinat programmé du rêve cinématographique. En montrant tout, on ne montre en réalité rien. Et cet étalage, cette négation profonde de l’intimité, cette donation du corps se fait donc au nom de l’Art, au nom du dieu Réel. Quelle est donc la prochaine étape de ce cinéma français là ? Finirons-nous par tuer quelqu’un devant une caméra au nom de l’Art ? L’Art n’engage pas à tout accepter, le cinéma n'engage pas à tout subir.
"La Vie d’Adèle" n’existe que par et pour ces scènes pornographiques, radicalités nouvelles perdues dans un océan d’images plus attendues les unes que les autres (ce non-choix, "laisser faire le réel", n’est pas la preuve d’une mise en scène travaillée) et de clichés (le rejet des amies d'Adèle dans cette scène de cour de récré dont l'engueulade artificielle - "tu mates mon cul sale gouinasse?!", est sortie d'un chapeau magique). Cette addition ne dégage pas l'ombre d'une force ni l'ébauche d'une émotion. Certains trouveront dans le film un air du temps, une pédagogie nécessaire ou feront le rapprochement avec les débats sur le mariage gay, mais ce n'est pas le propos de "La Vie d'Adèle" qui ne se focalise (à tort ou à raison) que sur sa petite intrigue amoureuse, bien loin de l'épopée adolescente à laquelle on pouvait s'attendre.
Triste destin pour ce cinéma d’auteur là, qui s’engage sur une pente irréversible. Triste message envoyés aux générations futures et aux apprenties comédiennes. Toujours plus loin, toujours plus fort, voilà ce qu’il faudra désormais faire pour exister et être vu. Merci Abdellatif Kechiche.

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